Mon parcours est avant tout axé sur l’écriture poétique, même si de nombreux ponts se sont créés progressivement, permettant d’établir des connexions avec d’autres formes d’expression, qu’elles soient visuelles ou sonores.
Il m’est difficile de parler de mon travail sans tendre plusieurs fils spatiotemporels.
Mes désirs d’écriture sont plutôt déraisonnables. Je passe d’un fil à l’autre de façon plus instinctive que réfléchie. Je peux évoquer les thématiques qui m’ont obsédée durant ces cinq dernières années, et les liens entre elles. Je pourrais dessiner une carte géographique (des profondeurs) en représentant les petits et grands courants obsessionnels et comment ils interagissent entre eux.
Mais ce n’est pas dans mes cordes. Je vais essayer comme ça :
L’idée de disparition - L’absence comme centre de gravité - La mort et toutes ses acceptations. Référence démesurée : Lowry. Des mots souvent définitifs. Le drame. Jusque 2008. À ces obsessions premières s’en greffent alors d’autres : le rapport au monde, à la morale, aux conventions. Comment sortir des codes traditionnels, et du drame romantique ? Premières tentatives d’exprimer un hors soi, hors de l’espace figé et de l’asphyxie sociale “européenne”. Une première route. “Fragments verts” (fin 2009) est le recueil de cette expérience. C’est tourné vers le vertical, la lumière. Idée du double aussi. Double-identité : moi et le poète. Double-genre : le “e”, marque du féminin, oscille entre apparition et désertion. Double-monde : le monde terrestre et l’autre, céleste ou infernal.
(Juste pour préciser : toutes ces réflexions sont un peu le mélange de retours qui m’ont été faits, de la propre lecture que j’ai de mes textes et d’un délire improvisé à l’instant)
En parallèle, je commence en 2008 l’écriture d’un roman. Torture mentale. Entreprise un peu masochiste. Je n’arrive à rien structurer. La narration m’échappe ou est trop rigide. Je le laisse souvent en plan, pour y revenir quelques semaines voire quelques mois plus tard. J’essaie de trouver une voie qui ne me perde pas et qui m’enthousiasme. Plusieurs parties se métamorphosent peu à peu en prose poétique. Le fil de l’intrigue devient de plus en plus ténu. J’essaie pourtant de ne pas le laisser s’échapper, j’y tiens. Écriture automatique. Narration bombardée par des connexions qui se font, se défont. Un roman à fragmentation poétique, avec des boucles, des flashsideways, des fondus au blanc ou au noir. L’histoire d’un vieil alcoolique et d’un étudiant. à la troisième personne. Comment les récits de la vie de l’ivrogne viennent s’imbriquer dans l’existence du jeune homme. C’est la première partie. Dans la deuxième, on retrouve l’alcoolique dans un autre espace-temps, autre identité, autre contexte (la poésie), mais il y a de l’écho, du larsen. Explosion. Troisième partie : à travers les yeux de l’étudiant. Un “je” flou. L’ivrogne est partout. Puis disparition de l’ivrogne. Quatrième partie. Le jeune homme sur une nouvelle ligne, une fuite, le défilement, redécouvre tout différemment, autre ligne du temps qui ouvre de nouvelles portes. Il ne s’arrête jamais, file comme une comète, puis finit par tomber dans les bras de Pierre (l’ivrogne). Ce n’est pas encore complètement fini. Sauf la partie II. Et j’oublie toujours de parler de l’histoire d’amour qui est au centre du récit.
Courant 2010, je quitte enfin la France. Mais pas l’occident. Je vais jusqu’aux limites les plus folles du monde “connu”, SF. Une baffe à laquelle je ne m’attendais pas. Durant ces 6 mois, j’écris beaucoup. À la fin ça donne “Figures de la route”. L’espace s’élargit, et dans certaines circonstances particulières, des vérités éclatent. Mais le chemin passe par des lieux vides et froids et la nature ne console de rien. Elle n’existe encore que métaphoriquement. Pas mal d’attentes encore, au conditionnel, à la verticale, et l’idée de disparition est montée d’un cran. C’est ailleurs et nulle part. Hors de soi et nulle part.
Depuis, je continue d’écrire, des poèmes, des fragments, le roman. Période de transition depuis peu. Le silence est de plus en plus présent derrière les mots. La possibilité “recherchée” de perdre le langage de la “biographie occidentale” figée se dessine. Je ne sais pas où ça va, apparemment vers la terre. Un désir de simplicité, passer du vertical à l’horizontal et peut-être (re)trouver les sens originels (quelque chose de cet ordre, que je ne peux pas définir encore). En tout cas, les béquilles seront bientôt lâchées. Nouveau recueil en vue et fin du roman en 2012.
Un travail vidéo également que j’ai commencé en 2011, à Lisbonne. Des petits films non-narratifs. Descriptions totalement subjectives de différents lieux. Plans très larges et très rapprochés, sans réel entre-deux. Environnement sonore très présent. C’est très brut.
Depuis le début, je travaille souvent en lien avec d’autres poètes ou artistes. Échange de textes, envois de pensées, délires autour d’un thème. Et puis passerelles tendues avec la photographie, la vidéo, la peinture, la musique, la gravure. Ouverture des possibles. Cette année je travaille sur des textes pour l’exposition d’une photographe. L’année dernière, c’était en relation avec des graveurs portugais.
Je me répète sûrement. Chaque nouvelle obsession vient bousculer les anciennes, les remettre en perspective, les transformer. Mon écriture est en évolution ou régression permanente. Depuis très peu de temps, elle n’est plus dans la fuite verticale, donc conditionnelle. La langue se transforme, se réinvente. De nouveaux horizons apparaissent. Terra Incognita. Autre monde, où les limites repoussées ne reposent pas uniquement sur l’argile du “monde conditionné”. Hors d’ici et pourtant quelque part sur la terre.
Cette proposition de workshop arrive à ce moment précis de mon désir et de mes projets. À la fin d’un cycle. Fenêtres ouvertes. Enthousiasme. Nouveau départ.
Alors là-bas, j’ai le projet d’écrire dans plusieurs carnets, de filmer l’espace et le temps, de lâcher de vieux réflexes, de construire des ponts vers les différentes énergies, de découvrir, de marcher dans le bruit, de marcher en silence, de me lancer avec d’autres dans une création commune... Sauf que je n’ai pas encore conscience du centième de mon projet (comme je n’ai pas encore conscience du centième du Vietnam).
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